Un article proposé par Monsieur Philippe Jéhin : professeur d'histoire au lycée Bartholdi à Colmar et chargé de cours à l'Université de Haute Alsace
Bibliographie :
Livre d'or de la chasse en Alsace, Strasbourg, Nuée bleue, 2008, en collaboration avec Gilbert
TITEUX
A l’automne 1721, un garde-chasse est désigné pour les villages d’Eguisheim et de Wettolsheim, mais celui-ci éprouve quelques difficultés à obtenir les gratifications d’usage.
A l’extinction de la lignée des comtes d’Eguisheim en 1225, l’évêque de Strasbourg entre en possession de la ville d’Eguisheim et du village voisin de Wettolsheim qu’il conserve jusqu’à
la Révolution. Il en est donc le seigneur territorial, représenté par un bailli qui réside au château d’Eguisheim, au cœur de la ville, jusqu’en 1752. Eguisheim et Wettolsheim possèdent un finage varié et giboyeux dominé par les silhouettes des Trois Châteaux. Leur territoire s’étire de la plaine occupée par les champs de céréales, à la montagne couverte de forêts, en passant par les collines sous-vosgiennes consacrées au vignoble. Au début du XVIIIe siècle, les délits de braconnage se multiplient sur les deux bans communaux. Les autorités seigneuriales sont contraintes de réagir devant l’ampleur du phénomène. Les archives du Bas-Rhin conservent un échange de correspondances entre la Régence épiscopale, l’administration civile des territoires de l’évêque, et ses représentants locaux. Ces courriers permettent de comprendre les enjeux et les difficultés de la conservation de la chasse dans deux villages alsaciens.
La nécessité d’un garde-chasse
Le 12 septembre 1721, le représentant civil de l’évêque, François Gabriel Klié, lieutenant du bailli de la prévôté d’Eguisheim, est chargé par le sieur Herrenberg, procureur fiscal de l’évêché, de lire et de publier une ordonnance de l’évêque datée du 8 juin 1718 qui interdit formellement la chasse à Eguisheim et Wettolsheim sans l’autorisation requise. Pour faire appliquer la réglementation, la nomination d’un garde-chasse paraît indispensable, ce qui prouve qu’il n’y avait donc pas de garde auparavant. Un mois plus tard, le 10 octobre 1721, le lieutenant du bailli Klié rassemble les habitants d’Eguisheim dans l’hôtel de ville et leur lit l’ordonnance épiscopale réglementant la chasse. Un exemplaire imprimé bilingue est affiché à l’extérieur du bâtiment. Puis, le lieutenant du bailli désigne Ludwig Andres comme garde-chasse pour les bans d’Eguisheim et Wettolsheim. Les motivations de son choix ne sont pas spécifiées dans les documents conservés. Le garde obtient publiquement la mission de « veiller à la conservation de la chasse dans lesdits bans » et reçoit une bandoulière aux armes du cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg. Il doit porter sur ses vêtements cette bandoulière, symbole de sa fonction officielle.
Un garde chasse déçu
Un seul garde chasse est chargé de contrôler deux bans communaux, à savoir près de 1500 ha pour Eguisheim et 880 ha pour Wettolsheim. Il paraît improbable qu’il puisse patrouiller quotidiennement dans l’ensemble du territoire qui lui est confié. Il est vraisemblable qu’il n’arpente pas souvent les vastes forêts de montagne, mais qu’il se contente de surveiller les champs ou les vignes qui confinent aux portes de Colmar.
Deux ans après sa nomination, en 1723, le garde-chasse Ludwig Andres se manifeste auprès des autorités seigneuriales. Il demande et obtient un certificat prouvant le zèle qu’il déploie dans ses fonctions. Le lieutenant du bailli Klié certifie par écrit le 20 mai 1723 que le sieur Andres « veille exactement à la conservation du gibier et fait le tour de l’un ou l’autre
ban tous les jours pour empêcher que l’on y chasse ». Le garde donne entière satisfaction. Cependant, le valeureux garde-chasse ne semble pas récompensé à la hauteur de son sérieux. En effet, dans une lettre adressée aux conseillers de la Régence de l’évêché de Strasbourg, il rappelle ses activités avant de présenter une double requête. Il affirme exercer tous les jours la tâche de garde-chasse bien qu’il possède certainement un autre métier qui n’est jamais mentionné dans la correspondance. Il en veut pour preuve les nombreux procès-verbaux de dénonciation de délit de chasse qu’il a dressés et transmis aux autorités judiciaires en vue de poursuivre les braconniers. Mais il déplore le manque de reconnaissance de l’administration épiscopale à son égard. En effet, il n’a toujours pas reçu « la livrée de son Altesse Eminentissime » c’est-à-dire le costume distinctif que portent tous les employés de l’évêque de Strasbourg. Il souhaite obtenir les mêmes vêtements que les autres gardes-chasse de l’évêché. En outre, depuis sa nomination, Ludwig Andres n’a perçu aucun salaire pour sa fonction de garde-chasse. Il a donc attendu près de deux ans avant de réclamer son salaire ! Et encore se montre-t-il très mesuré dans sa requête et dans ses exigences. Il déclare en effet qu’il n’a « touché aucun sol par manière de gages de reconnaissance de ses peines ». Au moment de son engagement, aucun montant de rétribution ne lui a été promis. C’est pourquoi, il demeure extrêmement modeste et demande simplement « de fixer au suppliant tels gages que vous jugerez à propos et vous ferez bien », c’est-à-dire de lui verser une rétribution à la discrétion de son employeur.
Nul doute que la Régence épiscopale aura récompensé un employé aussi consciencieux et peu exigeant, malheureusement, les documents conservés dans le dossier restent muets à ce sujet.
Philippe Jéhin